mardi 5 mai 2009

CONDITIONS CARCÉRALES : Comment mincir gourmand en prison


Article paru dans le numéro 820 du 5 mars 2008

Pourquoi la gauche se scandalise-t-elle que l’on veuille enfermer indéfiniment des détenus qui ont purgé leur peine ? À en croire l’administration pénitentiaire, les prisons françaises sont certifiées Label rouge. Illustration par l’exemple.


La dernière plaquette de com’ de l’administration pénitentiaire, Chiffres clés 2007 Perspectives 2008, vous donnerait presque envie d’aller en taule. On y apprend que le projet de loi sur les prisons de Rachida Dati, attendu au Parlement au printemps prochain, donnera à l’administration pénitentiaire « un cadre normatif rénové qui traduira les avancées de ces vingt dernières années ». Et on y parle de «gestion des détentions dynamique» et de «démarche de labellisation qualité». Pour un peu, il serait presque question de prison trois étoiles. De quoi laisser pantois tous ceux qui travaillent sur le milieu pénitentiaire.
Prenons, par exemple, un truc basique, dont on peut difficilement se passer si l’on tient à rester en vie : la bouffe. Les directions départementales des services vétérinaires (DDSV), d’année en année et d’une prison à l’autre, multiplient les rapports d’inspection alarmants. C’est vrai que quand ils retrouvent des bactéries d’origine fécale — autrement appelées coliformes — sur des lasagnes, du gratin, du poisson et des andouillettes — comme à Béthune, en mars 2007 —, ils ont de quoi paniquer un peu. Surtout quand les sources de contamination sont multiples : mauvaise hygiène du personnel, manquements dans la désinfection des sanitaires, infestation d’insectes et de nuisibles…

Millefeuille de plâtre à l’émulsion de cafard

Le 22 novembre dernier, quatre-vingts surveillants de Fresnes, lassés de devoir dribbler avec des bataillons de rats dans les cours de promenade, ont manifesté leur ras-le-bol devant la maison d’arrêt.
À Belfort, il aura fallu deux ans et trois mois de combat à la DDSV — après une mise en demeure avec copie au procureur et la menace d’un arrêté préfectoral de fermeture — pour réussir à imposer des travaux d’assainissement dans les cuisines infestées de cafards. Les murs et les interstices créés par les joints manquants tenaient lieu de canaux de circulation à des blattes de 5 à 35 mm de long, les sols crasseux étaient recouverts de crottes, les plafonds écaillés s’effritaient dans les marmites, les murs moisis — jaunâtres en bas, noirâtres en haut — suintaient au-dessus des équipements de cuisson, eux-mêmes posés sur des agglomérés de béton souillé…
En 2006, la Cour des comptes rapporte qu’à la Santé «l’état dégradé du bâti, l’usure du matériel et la prolifération des animaux nuisibles ont conduit le chef d’établissement et son cuisinier à décider de multiplier les repas froids»… Ce qui, au fond, n’a pas changé grand-chose à l’ordinaire de tous ceux dont la cellule se trouve en fin de distribution et dont les plats arrivent, de toute façon, toujours froids.
Selon le Code de procédure pénale, les détenus doivent recevoir «une alimentation variée, bien préparée et présentée, répondant tant en ce qui concerne la qualité et la quantité aux règles de la diététique et de l’hygiène». Ce n’est pas gagné si l’on en croit les témoignages que reçoit l’Observatoire international des prisons (OIP) : à Fleury, les produits en conserve «même pas lavés sont présentés dans l’eau de leur boîte». À Fresnes, un détenu ayant subi une ablation totale de sa dentition en raison d’un cancer du voile du palais est resté plus de six mois sans réussir à bénéficier d’une alimentation mixée. «Il était devenu tellement maigre que des surveillants ont pris l’initiative de lui apporter des briques de soupe», témoigne Marie Crétenot (OIP).
Toujours selon la Cour des comptes, «depuis 1998, le montant dépensé par l’administration pénitentiaire pour l’alimentation des détenus a diminué en euros constants»… La nourriture est tellement carencée qu’il y a deux ans, à Poissy, les médecins ont dû prescrire aux détenus du Rénutril, un complément alimentaire qu’on donne aux séropositifs ou aux anorexiques. Et pour la vitamine C, inutile aux détenus de compter sur leurs familles pour leur apporter des oranges. Tout colis est strictement interdit, à part celui de Noël.
Le 2 février, une femme d’une soixantaine d’années a fait 160 km en voiture pour voir son fils à la maison d’arrêt de Loos. Sujette à des crises d’hypoglycémie, elle a eu le malheur de garder trois carrés de chocolat dans la poche de son manteau : privée de parloir ! Elle a dû repartir sans avoir vu son fils et son permis de visite a été suspendu pour une durée d’un an. L’OIP en a été informé. Trois semaines plus tard, le directeur de la maison d’arrêt est finalement revenu sur sa décision. Un élan d’humanisme, à verser au compte des avancées de ces vingt dernières années, sans doute.

Sylvie Coma

• À lire : la revue de l’OIP, Dedans dehors.

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