mardi 5 mai 2009

IMMIGRATION : Fonctionnaires : remplissez les charters !

Article paru dans le numéro 826 du 16 avril 2008

Tous collabos et la délation érigée en principe. Voilà la nouvelle fonction publique selon Sarkozy. Pour accélérer les rafles de sans-papiers, le gouvernement demande aux fonctionnaires de l’État de participer à la battue. Petit tour d’horizon avec le Réseau éducation sans frontières.

Fin août, un homme se rend au guichet d’un bureau de poste parisien pour y retirer un colis. Une fois le paquet remis, la guichetière refuse catégoriquement de lui rendre sa carte d’identité : «document suspect». Il est prié de revenir à 19 heures… En fin de journée, l’homme revient. On le fait poireauter. Les derniers clients partent, on baisse le rideau de fer. Et tout s’accélère brusquement : trois policiers surgissent d’un couloir, le directeur sort de son bureau : «C’est lui, pour la carte !» Fouille, interrogatoire, contrôle d’identité… Mauvaise pioche. Cette fois, les policiers repartiront bredouilles. L’homme est bel et bien français.



Cette histoire véridique, recueillie par RESF, illustre parfaitement ce que Nicolas Sarkozy est en train de mettre en place. Un réseau de petits mouchards zélés, prêts à jouer les auxiliaires de police sous la protection bienveillante des pouvoirs publics. La nasse est prête. Et le maillage serré. Notes internes, circulaires, décrets, tout est quadrillé : hôpital, ANPE, Assedic, Éducation nationale, services sociaux, inspections du travail, bureaux de poste… Chaque fonctionnaire est invité à relever les filets dès qu’un sans-papiers se pointe.
Premier terrain de pêche : les guichets préfectoraux. Dans une note du 28 février, la préfecture des Hauts-de-Seine définit la nouvelle «mission prioritaire» des agents des sections Accueil et Contrôle : interpeller «systématiquement» les sans-papiers qui, frappés d’une «obligation à quitter le territoire», se présentent «spontanément» au guichet dans l’espoir d’une régularisation. La technique de prise est détaillée selon un «schéma chronologique». D’abord, on bloque la proie en lui piquant son passeport.




Puis, on l’endort en l’invitant à prendre place dans la salle d’attente. Et, enfin, on ferre en appelant le «chef de la section Éloignement», qui organise l’interpellation. Précision : l’arrestation «sera réalisée en cabinet fermé». Recommandation : ces instructions devront être appliquées avec un «zèle particulier» pour une «obligation de résultats»…

Des culottes de peau pour les ronds-de-cuir

Sur ce dernier point, il n’y a pas de souci à se faire. Tout est blindé. Quand il était ministre de l’Intérieur, Sarkozy s’est employé à répertorier, dans une circulaire datée du 21 février 2006, «les difficultés procédurales et les risques contentieux» susceptibles de faire capoter ce type d’opération. Un précieux petit document qui liste les écueils à contourner pour éviter de se faire renvoyer dans les cordes par un juge un peu trop tatillon. Et qui indique les brèches dans lesquelles on peut se glisser. On y enseigne, par exemple, qu’un bloc opératoire, dans un hôpital public, n’est pas considéré comme un… «domicile privé». Et que, dans une préfecture, une interpellation au guichet est légale tant qu’elle demeure… «loyale». Reste juste à s’entendre sur le terme de «loyauté». «Ce n’est pas le lieu d’interpellation qui pose une difficulté, mais la rédaction des motifs de la convocation adressée à l’intéressé.» Pour réussir ce type de coup bas sans se faire coincer, il suffit donc de «respecter quelques règles bien comprises». Dont celle, en or, qui consiste à rédiger une convocation «brève et la plus simple possible», en proscrivant «toutes les indications relatives à l’éventualité d’un placement en rétention». En annexe, pour ceux qui auraient encore quelques difficultés avec les subtilités de la langue française, sont proposés deux modèles de convocations «loyales» d’une concision absolue : deux phrases…



Les sentinelles de l’Hygiaphone

Rien de tel que la méthode et la pédagogie. Dernièrement, en Haute-Garonne, «les organismes ayant vocation sociale» — de l’ANPE à la Cram, en passant par l’Urssaf, la CAF ou la Ddass — ont été invités à partir en stage… à la Police de l’air et des frontières (PAF). Une «formation adaptée» de trois jours et demi, validée par un examen final. Objectif : former des «groupes de référents» qui alerteront directement la PAF, la gendarmerie ou la police pour tout document qui leur semblera louche. La gendarmerie se présentera alors sur «simple appel» d’un employé d’une de ces administrations…
Pour une fois, on ne pourra pas dire que les fonctionnaires sont payés à ne rien faire. Quel que soit le secteur, tout le monde est sollicité. Les agents de l’ANPE et des Assedic sont priés de transmettre à la préfecture — «chaque jour par envoi recommandé avec accusé réception» — une copie du titre de séjour des demandeurs d’emploi étrangers. Les inspecteurs du travail sont invités à jouer les «ouvre-boîtes» des entreprises soupçonnées d’employer des clandestins… Sans compter les demandes intempestives qui peuvent fuser çà et là.



En septembre, l’inspection académique du Haut-Rhin a demandé aux directeurs d’école de recenser «systématiquement» les enfants sans papiers et d’en communiquer le listing à la préfecture, par email ou par téléphone. La levée de boucliers ayant été immédiate, la consigne a été abandonnée dans la journée. «Simple erreur d’interprétation», a-t-on bafouillé en haut lieu…

Le fichier Hortefeux

Désormais, chacun va devoir choisir son camp. À ses risques et périls. Deux assistantes sociales travaillant pour France terre d’asile ont été arrêtées au petit matin du 19 novembre dernier, à leur domicile parisien. Fouille au corps, perquisition, saisie d’ordinateur et transfert, menottées, à Coquelles, dans le Pas-de-Calais. Douze heures de garde à vue pour l’une, vingt-quatre heures pour l’autre. Motif de l’interpellation ? Vérifier si elles s’étaient rendues complices d’aide au séjour irrégulier. Un incident qui est loin d’être isolé, selon France terre d’asile, qui a immédiatement lancé une pétition en rappelant au passage que, selon notre pacte républicain, fondé sur l’égalité et la fraternité, les intervenants sociaux se doivent de venir en aide à tous, indépendamment de leur origine et de leur nationalité. Autant de mots compliqués que les exégètes du gouvernement Sarkozy ne vont pas manquer d’interpréter dans de prochaines circulaires.

Sylvie Coma

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire