mardi 5 mai 2009

TÉLÉ : À quoi reconnaît-on un bon acteur de téléfilm érotique ?


Article mis en ligne le 27 avril 2009

Vous zappez, et, sur le câble, cette opération est interminable : section chaînes infos (LCI, BFM, iTélé, toutes les mêmes, pubs tous les quarts d’heure, rappel des mêmes titres, flux d’infos en continu qui défilent en bas de l’écran, moment éco, minute politique, seconde culture, etc.), section chaînes musicales (guignols en baggy, secousses de black « booty », même soupe rap ou R’n’B partout), sections chaînes de sport, sections voyages que vous ne ferez pas, et puis sections cartoons, cuisine, diversité ethno-culturelle (à chacun sa case : Bretons, cathos, mélomanes, Juifs, parisiens, Russes, Italiens, Arabes, trentenaires cool, vestiges abîmés d’AB Productions, nostalgiques des eighties…) ou encore cinéma, pour des centaines de films qu’entre deux téléchargements illégaux vous tentez, en vain, d’apercevoir.

Pour autant, aux alentours de minuit, ce formidable éclectisme cathodique semble se mettre au diapason d’un étrange mot d’ordre. En effet, moult chaînes, pourtant fort différentes le reste de la journée (W9, Téva, M6, RTL9, NRJ12, pour ne citer qu’elles), entrent en résonance éditoriale et s’alignent alors sur une même stratégie programmatique. Une stratégie aisément repérable à cette petite pastille pourpre dans laquelle est incrusté un nombre (« – 16 ») gorgé de promesses, censée attiser la curiosité, voire le désir, de ceux qui, sans elle, auraient passé leur chemin. C’est le moment du téléfilm érotique spontané, débité au kilomètre par les chaînes qui, comme Cendrillon, passent soudainement du carrosse identitaire à la citrouille mammaire.
Passons sur les raisons évidentes qui encouragent la programmation en masse de ces épices à bas prix, ne revenons pas non plus sur la genèse de ces sex products (années 1980, fin du porno argentique, développement du marché de la vidéo) et concentrons-nous plutôt sur ce qu’ils contiennent, malgré tout, de fascinant. Je veux parler de l’acteur de téléfilm érotique, ce pilier interchangeable du genre, que la profusion de formes féminines souvent généreuses aurait tendance à éclipser. L’incroyable permanence physico-psychologique de l’acteur de téléfilm érotique (appelons-le ATE) est telle qu’il résiste au zapping le plus hystérique : d’une fiction l’autre, l’ATE ne varie pas d’un iota, réaffirme à longueur de plans sa dimension immuable et mythologique. Acteurs différents mais au service d’un même archétype, qui, à cette heure de la nuit où les frontières se brouillent, fabrique l’illusion d’une continuité fantastique. À quoi reconnaît-on un ATE ?
Tout d’abord au teint de sa peau qui est, à sa mythologie, l’équivalent de la mèche de César : ce bellâtre aux sourcils souvent épilés arbore toujours un bronzage de homard malade, dit « californien » orangé, aussi naturel qu’un masque de terre battue trempée dans le jus de carotte. On le reconnaît aussi à sa mâchoire, exagérément carrée, façon porte-avions, comme si un cerveau, un jour, devait enfin atterrir sur cette tronche de kakou. L’ATE n’a le choix qu’entre deux coupes de cheveux : la coupe courte et légèrement bouffante, genre brushing des pop stars d’antan (George Michael, Modern Talking, Herbert Léonard), ou, plus rare, la tignasse longue et fournie, à la manière du chanteur du groupe Europe, de Sanson ou de Howard Stern.
Ensuite, ses pantalons, amples et colorés, laissent apparaître ses chaussettes et remontent toujours au-dessus du nombril. Enfin, l’ATE, lorsqu’il réfléchit (où garer la Lamborghini ? Pourquoi Brenda ne m’a-t-elle pas rappelé ? Et si Pamela sortait avec Vince ?…), fronce les sourcils, comme Jean Reno lorsqu’il s’essaye à la comédie. Bien sûr, extrait de son biotope naturel, l’ATE serait sans doute l’idiot du village, le benêt qui s’ignore, la pépite furieuse d’un dîner de giga-cons. Au fond, l’ATE est indissociable de l’esthétique flash et funky des années 1980, cette espèce de laideur clinquante que De Palma dans Scarface (1983), Alan Rudolph (Wanda’s Café, 1988) ou Michael Mann dans la série Miami Vice ont si bien décrite. Il en est même la version radicale, abrutie et machiste, sûre d’elle-même.
Aujourd’hui, cet acteur-là a presque disparu, en tout cas sa caricature, mais sa place n’est pas restée vacante : depuis le début des années 1990, le rappeur moyen l’a remplacé. La même petite fabrique du cliché et du néant. Effets d’identité : même misogynie, même valorisation des signes extérieurs de richesse, même vulgarité esthétique, même passion de l’uniforme, même interchangeabilité des acteurs/chanteurs, même vision binaire du monde. Effets symétriques : la liquidation du politique par le désengagement total d’un côté (l’ATE ne se mêle pas de la chose publique, juste de la chose intime) ou par la réaffirmation permanente de son simulacre de l’autre (le tract, le cliché, la stigmatisation).

Jean-Baptiste Thoret

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